3ème confinement : Discours de Valérie RABAULT à l’Assemblée nationale

Valérie RABAULT Députée de Tarn-et-Garonne
Présidente du groupe Socialistes et apparentés 

Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs les Ministres, Messieurs les Présidents de groupe, Mes chers collègues,

Pas un mot de compassion du Président de la République hier soir pour les 95 667 personnes qui sont mortes du Covid dans notre pays ; pas un mot pour les 400 000 personnes qui ont été hospitalisées ou le sont encore ; pas un mot pour les 4,6 millions de nos concitoyens qui ont été infectés par le coronavirus ; pas un mot pour celles et ceux qui subissent encore les effets du Covid long. Aussi c’est à elles et à eux que je voudrais penser en cet instant.

Présider la France, la gouverner, ce n’est jamais s’abstenir d’empathie pour les Français. Présider la France et la gouverner, c’est partager le destin de nos concitoyens, et donc aussi s’associer aux blessures qu’ils subissent.

Aujourd’hui, vous venez devant le Parlement pour aborder le 3ème confinement. Je dis bien « confinement ». A partir du moment où l’on ferme les écoles et l’on demande aux Français de rester chez eux, cela s’appelle un confinement. Ni le Président de la République ni vous Monsieur le Premier ministre n’avez prononcé ce mot, comme si depuis le début vous cherchiez à ne pas nommer la réalité que nous subissons, en somme, pour ne pas l’affronter.

Aujourd’hui, vous venez devant le Parlement pour détailler ce que le Président de la République a déjà annoncé hier soir. Or Monsieur le Premier ministre, cela a été dit, le Parlement n’est pas une chambre d’enregistrement de décisions prises ailleurs. Le Parlement est le lieu où les décisions sont prises par un vote, après une délibération, un débat transparent et démocratique. Mais depuis le début de cette crise, le Président de la République semble vouloir faire de la santé publique l’un de ses domaines réservés, ce qui est contraire à la Constitution. Avec le débat de ce jour, vous voudriez nous faire avaliser cette situation. Nous vous le disons très nettement : nous ne participerons pas à cette mascarade. Nous ne prendrons pas part au vote sur votre déclaration. Si vous aviez choisi de mettre votre responsabilité en jeu, nous aurions pris part au vote.

Ne pas prendre part au vote, c’est aussi vous dire que nous ne pouvons cautionner la manière avec laquelle vous gérez cette crise. Bien sûr, la situation est d’une incroyable complexité, et la réponse évidente n’existe pas. Mais c’est justement parce qu’elle est complexe qu’elle devrait vous inciter à une réflexion partagée. Sincèrement, le Président de la République pense-t-il être plus intelligent que la chancelière allemande, qui prend la peine de débattre 7 heures durant avec les présidents de région pour élaborer une décision de consensus, qui prend la peine de faire voter toutes ces décisions par le Bundestag, et qui aujourd’hui déplore 20 000 décès de moins que nous alors que l’Allemagne compte 17 millions d’habitants de plus que nous ? Pourquoi nos élus qui font fonctionner la République du quotidien, nos maires, présidents de département ou de région sont-ils si peu associés à vos décisions, alors que depuis le début de cette crise ils pallient de nombreuses carences de l’Etat, et ce de leur propre initiative – et au prix de dépenses pour leurs collectivités que vous ne compensez la plupart du temps pas du tout ?

Ne pas prendre part au vote, c’est souligner votre irresponsabilité face à la science, et je pèse mes mots. Monsieur le Premier ministre, le 28 janvier, j’ai été horrifiée par les projections que vous aviez glissées dans votre présentation (à la page 16 très exactement). D’ailleurs, je ne vous ai questionné que là-dessus. Depuis ces projections m’obsèdent, parce que je sais qu’elles montraient que nous allions dans le mur. Désormais, il est trop tard et le mur nous sommes en train de le prendre. Le 18 mars, ces projections avaient disparu de votre présentation, comme s’il ne fallait pas montrer qu’elles étaient en train – malheureusement – de se réaliser. Alors, non, vous ne pouvez pas dire que l’augmentation actuelle des contaminations est subite, imprévue. Le Président de la République ne peut pas dire, comme il l’a fait hier soir, que « nous sommes entrés dans une nouvelle course de vitesse ».

Tout ceci était clairement prédit dans les projections de janvier, et vous avez sciemment décidé de ne pas en tenir compte.

La réalité est qu’aujourd’hui la France est le 5ème pays de l’Union européenne avec le plus fort taux d’incidence après l’Estonie, la Pologne la Hongrie et la République Tchèque.

Ne pas prendre part au vote, c’est vous dire que nous ne croyons plus à vos annonces. Comment leur accorder du crédit quand aucune de vos annonces précédentes ne s’est réalisée ? Le 3 décembre dernier, vous nous annonciez que 15 millions de personnes seraient vaccinées avant “le printemps”, soit fin mars. Fin mars, nous y sommes, et 8 millions de personnes ont reçu une dose, soit la moitié de ce que vous aviez annoncé. Le 1er mars, le Président de la République parlait pourtant de « tenir 4 à 6 semaines » avant que ça aille mieux. Le 3 mars, le porte-parole du Gouvernement déclarait qu’on retrouverait une vie plus normale « mi-avril ». En réalité, la seule chose que nous retrouverons en avril, c’est le confinement, version 3. Dernier exemple : au début de l’année, vous avez annoncé 1 million de tests dans les écoles à réaliser en janvier. Personne n’en a vu la couleur.

Ne pas prendre part au vote, c’est vous redire que nous ne comprenons pas que vous n’ayez pas mis en place une organisation de combat pour la vaccination, qui est la seule bonne nouvelle de 2021, et qui fonctionne. Dès le 9 juillet 2020, dans un avis transmis au Gouvernement, le Conseil scientifique pressait le Gouvernement d’établir une stratégie vaccinale nationale et proposait une série de recommandations en ce sens. Le 13 octobre, mon collègue Boris Vallaud était le premier parlementaire à interroger le Gouvernement sur sa stratégie vaccinale. Réponse du Ministre de la Santé : “Rassurez-vous, tout est en cours de préparation sur ce sujet.”

Comment être rassurés quand nous avons vu début novembre que plusieurs pays européens lançaient l’organisation de centres de vaccination et que dans le nôtre rien n’était prêt ?

Alors bien sûr il y a des retards de livraison des doses mais celles-ci ne sauraient masquer et expliquer à eux-seuls la lenteur de la France en matière de vaccination. Pourquoi avoir attendu début mars pour ouvrir la vaccination le week-end ? Pourquoi avoir attendu la mi-mars pour lancer une campagne de vaccination sur laquelle vous dites sans cesse accélérer ?

Pourquoi avoir repoussé l’idée des vaccinodromes pour ensuite les généraliser tardivement ? Pourquoi avoir attendu jusqu’à ces derniers jours pour appeler nos aînés pour leur proposer des créneaux de vaccination, après les avoir laissés paniquer face à l’impossibilité de trouver un rendez-vous, et face des modes de réservation anxiogènes quand on sait que beaucoup n’ont qu’un accès limité au numérique ?

Résultat : en France, 13% de la population a reçu au moins 1 dose de vaccin, contre près de 30% aux Etats-Unis, où 90% de la population aura accès à la vaccination à partir du 19 avril. Nous en sommes tellement loin.

Dès lors, comment voulez-vous que nous croyions le Président de la République quand il annonce que “d’ici la fin de l’été, tous les Français de plus de 18 ans qui le souhaitent pourront être vaccinés” ?

Ne pas prendre part au vote, c’est dénoncer la situation dans les services de réanimation. Depuis un an, rien n’a changé et nous en sommes au même point que l’an dernier. Pas une nouvelle place en réanimation n’a été créée, alors même que la 2ème vague était pressentie dès le 14 juillet.

En réalité, rien, ou si peu, a changé pour l’hôpital. Ou plutôt si, la situation s’est dégradée : le personnel soignant est désormais à bout et je souhaite leur rendre hommage.

Ne pas prendre part au vote, c’est ne pas accepter ce que vous faites subir à l’école. Je ne reviendrai pas sur le million de tests annoncé pour janvier qui n’a jamais été réalisé. Au-delà de leur non réalisation, il est choquant que vous demandiez une participation financière aux enseignants pour les tests salivaires.

Concernant la continuité pédagogique, les enseignants vont devoir reprendre les cours à distance pendant au moins une semaine. Mais les difficultés d’accès aux outils numériques chez les enseignants comme chez les élèves demeurent. Le 9 juin, il y a 10 mois, dans notre plan de rebond, nous avions proposé au gouvernement de reprendre le « plan pour le numérique à l’école » lancé sous le précédent quinquennat, abandonné par le gouvernement actuel, et qui permettait à chaque élève de disposer d’un support numérique pour profiter des contenus pédagogiques innovants. Malheureusement il n’en a rien été. Vous vous êtes contentés de verser une prime informatique de 150 euros aux enseignants, mais qui ne permet raisonnablement pas de financer l’achat de l’ensemble du matériel informatique.

La jeunesse va inéluctablement, et encore une fois, payer le prix fort de ce 3ème confinement. Certaines mesures prises récemment vont dans le bon sens - repas à 1€ pour les étudiants, chèques psy, mais elles restent très insuffisantes face à l’ampleur de la crise qui frappe la jeunesse.

Ne pas prendre part au vote, c’est vous dire aussi ce que sont les exigences que nous avons et qui ne figurent pas dans votre déclaration.

1. D’abord la vaccination des enseignants. Il y a 2 semaines, nous vous l’avions déjà demandée. Je réitère donc notre demande : proposer à tout le personnel éducatif qui le souhaite d’être vacciné, avant de reprendre les cours en présentiel soit le 26 avril prochain, soit le 3 mai.

2. Ensuite, pour les réanimations, nous voulons le détail des déprogrammations que vous mettrez en oeuvre, pour espérer libérer les 5000 places en réanimation annoncées hier soir. Ceci va se faire au prix de la santé d’autres citoyens concernant les hôpitaux, nous vous demandons de nous indiquer comment vous allez créer en 3 semaines 5000 places nouvelles de réanimation quand vous avez été incapable de le faire pendant un an.

3. Nous voulons également avoir chaque semaine une comparaison du nombre de nouveaux cas et de la projection établie en janvier.

4. Pour les jeunes, la mise en oeuvre immédiate d’un minimum jeunesse, à hauteur du RSA, pendant toute la durée de la période sanitaire a minima.

5. Pour la production de vaccins, nous voulons à court terme la publication de votre plan de production, par site, par type de coopération avec les industriels. Au-delà vous devez soutenir la levée des brevets et/ou que le vaccin comme un bien commun universel.

Monsieur le Premier ministre, quand on prive nos concitoyens de leurs libertés comme vous le faites depuis un an, la contrepartie est une exigence de résultats.

 

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